Constat. Une cuisante défaite dans les urnes vient sanctionner six mois d’amateurisme et de cacophonie gouvernementale. Jusqu’à son apothéose, avec la gestion calamiteuse du dossier ArcelorMittal.
L’équipe gouvernementale nous offre un spectacle rappelant à la fois le “radeau de la Méduse” et la Berezina, dont on a justement fêté le bicentenaire cette année. Le premier pour ses déchirements, la seconde pour la débâcle. L’UMP redoutait la sanction dans les urnes du duel Copé-Fillon. La crise qui secoue la droite a tellement mobilisé les médias que l’on en avait presque oublié les six premiers mois ratés du quinquennat et la chute vertigineuse du couple exécutif dans les sondages. Les trois législatives partielles viennent de le rappeler. La droite arrive en tête dans les trois circonscriptions en jeu, et dans le Val-de-Marne le socialiste est même éliminé dès le premier tour. Plus qu’une sanction, c’est une cuisante défaite pour le gouvernement. Amateurisme à tous les étages, manque de vision, ministres qui se contredisent, sous l’oeil du premier d’entre eux, souvent dépassé, jusqu’à provoquer le doute sur ses capacités. En mai dernier, tous ou presque étaient des inconnus. Tour d’horizon d’une équipe gouvernementale dépassée par les événements, que ses quelques piliers et sa star, Manuel Valls, n’arrivent pas à sauver.
LES ARCHAÏQUES
Christiane Taubira, la laxiste
À peine nommée, la nouvelle garde des Sceaux a mis l’Élysée dans l’embarras, en annonçant le renoncement aux tribunaux correctionnels pour enfants. Puis, dans Libération, en expliquant qu’il « y a des années que l’on sait que la prison, sur les courtes peines, génère la récidive », que c’était « presque mécanique », qu’il fallait « arrêter ». Très critique, encore, sur les centres éducatifs fermés, la ministre s’était déclarée plutôt favorable à un système de foyers ouverts. Oubliant que le programme présidentiel prévoyait le doublement de ces centres fermés. Avant la fin de l’été, Taubira était étiquetée : laxiste. Depuis, le premier ministre l’a priée de se taire.
Marisol Touraine, la mal-aimée
En six mois, la ministre de la Santé, décrite comme froide et hautaine, a réussi à se mettre à dos pratiquement toute la profession médicale. Une coalition de praticiens est même descendue manifester dans la rue, le 12 novembre. Sur les réseaux sociaux, des groupes ont été créés, comme “Les blouses blanches en colère” ou “Les médecins ne sont pas des pigeons”. Médecins qui considèrent que le projet de Marisol Touraine (sur nommée, méchamment, MST) contre les dépassements d’honoraires stigmatise toute une profession.
LES ÉVANESCENTS
Pierre Moscovici, l’homme invisible
Pierre Moscovici traverse la salle des Quatre-Colonnes à l’Assemblée. Visage fermé, l’air presque dépressif. Il évite les journalistes. Comme toujours. « J’ai choisi, à la différence d’autres, de me placer en pilier du dispositif, sans satisfaction d’image, au point d’apparaître comme le type qui n’apparaît pas. » De même, pendant l’exercice des questions au gouvernement dans l’Hémicycle, le ministre de l’Économie et des Finances confie préférer « faire terne » plutôt que de se « laisser entraîner dans un exercice d’éloquence ». Même ses amis parlent de lui comme de l’homme invisible sans comprendre pourquoi il n’est pas plus présent. « C’est le brillant qui s’est fait un devoir de grisaille », ironise un député socialiste. Fâcheux, quand on est censé être l’homme fort à la barre du paquebot Bercy, en pleine tempête économique et budgétaire.
Aurélie Filippetti, l’interdite de chéquier
Oubliées les grandes envolées lyriques des promesses de la campagne : « Le budget de la culture sera sanctuarisé […] L’austérité ne doit pas être aveugle. » Filippetti gère la pénurie, et annonce le report, ou pis, l’abandon pur et simple de nombreux projets culturels comme le Centre national de la musique ou le Centre international d’art pariétal Lascaux 4… et se contente de courir les inaugurations.
Delphine Batho, à contre-emploi
Qui sait que Delphine Batho est ministre de l’Écologie ? Personne, ou presque. Si, les écologistes, justement, dont elle a provoqué la fureur en se prononçant en faveur de la construction de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, près de Nantes, et de la filière nucléaire, dont « la France a durablement besoin ».
Fleur Pellerin, à côté de la plaque
La ministre déléguée à l’Économie numérique et aux PME était, disait-on, l’une des étoiles montantes de la nouvelle génération, au PS. Pour l’instant, la jeune femme de 39 ans, remarquée pour ses origines coréennes, est un peu écrasée par Bercy et n’a pas encore réussi à habiter son sujet.
Marylise Lebranchu, aux abonnés absents
Depuis qu’elle a reconnu, en juillet, que les fonctionnaires devraient affronter un « grand moment de rigueur », on n’a pratiquement plus entendu parler de la ministre de la Fonction publique.
LES BOULETS
Arnaud Montebourg, l’ingérable
Comme les temps ont changé depuis qu’Arnaud Montebourg, en juillet, avait déclaré : « Le président de la République me manifeste son soutien, le premier ministre m’épaule, les collègues sont affectueux et les citoyens m’écrivent… » Le tonitruant ministre du Redressement productif portait alors l’étendard du volontarisme gouvernemental. Il est le principal boulet d’un gouvernement en déroute.
De sa sortie dans les Échos – « Nous ne voulons plus de monsieur Mittal en France » (sur le même modèle que ses attaques contre Peugeot cet été) – à sa croisade pour la nationalisation de l’aciériste, sèchement démentie par le premier ministre, il n’a cessé de se faire remarquer pour aussitôt être démenti. Résultat nul mais cacophonie assurée.
Cécile Duflot, l’éternelle ado
C’est peut-être parce qu’elle dit d’elle-même avoir « le charisme d’une huître » que la ministre du Logement fait tout pour se faire remarquer. À 37 ans, elle est visiblement très fière de son côté “éternelle ado”, pourtant caricatural. Arriver en jean à son premier Conseil des ministres, expliquer, en juin sur une chaîne d’info, que le cannabis, au fond, « c’est comme l’alcool et le tabac », faire savoir que cet été elle se promenait pieds nus dans le jardin de son ministère… Les parlementaires Verts votent à 70 % contre la ratification du traité budgétaire européen ? Les militants écolos affrontent les forces de l’ordre sur le site de Notre-Dame-des-Landes ? Ministre elle est, ministre elle veut rester. Quitte à s’écraser quand Montebourg assène que le « nucléaire est une filière d’avenir » ou quand Valls démantèle des camps de Roms.
Vincent Peillon, le gaffeur
C’est plus fort que lui. Peillon, venu défendre la refondation de l’école sur France Inter, déclare que la question de la dépénalisation du cannabis est posée sérieusement. Alors que Jean-Marc Ayrault vient de soutenir le contraire. Dans la bouche du ministre de l’Éducation nationale, numéro trois du gouvernement, la sortie provoque une véritable déflagration. Peillon avait déjà provoqué la polémique, au lendemain de sa nomination, en annonçant le retour à la semaine de cinq jours dans le primaire, puis le zonage des vacances d’été ou l’allongement des vacances de la Toussaint. Sans aucune concertation préalable avec quiconque. Après coup, il se dit toujours désolé.
Jérôme Cahuzac, le boxeur
Redoutable, critiqué pour sa dureté, le ministre du Budget a la réputation d’un boxeur, sport qu’il affectionne. Lui est persuadé, contrairement à d’autres socialistes, de la nécessité de ramener le budget à 3 % de déficit dès 2013. Et les discussions budgétaires ont été rudes. Duflot s’est plainte d’avoir été « traitée comme une souillon ». Jusqu’ici, l’ancien chirurgien (cardiaque à ses débuts, esthétique ensuite) distribuait les coups. Le 4 décembre, c’est Mediapart qui a lancé un uppercut à Cahuzac en l’accusant d’avoir possédé un compte suisse qu’il aurait transféré dans un autre paradis fiscal, juste avant de devenir président de la commission des finances de l’Assemblée, en 2010. Ce qu’il dément avec vigueur.
LES PILIERS
Manuel Valls, la star
Le premier flic de France voulait modifier le regard sur la gauche en matière de sécurité et incarner la fermeté républicaine. Carton plein. Il est le seul ministre plébiscité par les sondages. Le représentant de l’aile droite du PS n’hésite pas à bousculer la gauche, notamment lorsqu’il avait lâché : « Donner le droit de vote aux étrangers n’est pas une revendication forte de la société. » Son ascension est devenue presque gênante, on le compare régulièrement à Sarkozy. Certains le voient déjà succéder à Ayrault à Matignon, le Nouvel Obs l’a promu « vice-président » en une… Seul faux pas de celui qui vient de fêter ses 50 ans, mais de taille, dans l’Hémicycle, quand il lâche à l’UMP : « Le retour du terrorisme, c’est vous. »
Laurent Fabius, le vétéran
C’est le Juppé de gauche : ex-premier ministre, ex-patron de son parti, ex-dauphin (de Mitterrand, comme Juppé l’était de Chirac). Tout comme le maire de Bordeaux, Fabius a fini, raisonnablement, par renoncer à l’Élysée. Numéro deux du gouvernement, le patron du Quai d’Orsay a mis de côté sa vieille rivalité avec le chef de l’État. La période où il le surnommait « fraise des bois » et avait lâché : « Lui, président de la République ? On rêve ! » est paraît-il oubliée. Les deux hommes se voient en tête à tête une heure tous les mardis matin. Il est le vétéran, au milieu de tant de novices. Le chef de l’État sait Fabius trop expérimenté pour redouter un faux pas de sa part.
Michel Sapin, le bon petit soldat
Amusant qu’un parlementaire socialiste qualifie Michel Sapin, ami de plus de trente ans du président, de « bon petit soldat ». Justement, Hollande et Sapin se sont liés d’amitié en faisant, ensemble, leur service militaire. La petite histoire veut que les deux hommes aient été lâchés dans la campagne en pleine nuit, lors d’un exercice, avec un sac de commando de 12 kilos chacun, une carte et une boussole. Hollande avait craqué le premier, épuisé. Sapin aurait alors chargé sur son dos le sac de son camarade et retrouvé le chemin de la base.
Trente-cinq ans plus tard, le ministre du Travail sera-t-il aussi efficace sur le front du chômage ? Pas sûr. Il n’est pas en première ligne pour prendre les mesures permettant de retrouver le chemin de la compétitivité. Pour l’instant, c’est bien dans un rôle de petit soldat qu’est cantonné Sapin, de celui qui exécute les ordres présidentiels : hausse du smic, fin de la défiscalisation des heures supplémentaires, lancement des emplois d’avenir, négociation sur le contrat de génération. Attention, l’homme peut sortir du rang. Fin octobre, quand Ayrault avait déclaré qu’un retour aux 39 heures n’était pas un sujet tabou, Sapin n’avait pas hésité à contredire le premier ministre, en déclarant que les 35 heures devaient rester la durée légale du travail.
Jean-Yves Le Drian, l’homme de mission
Membre du canal historique des “hollandais”, Le Drian tient à la posture d’homme de mission que lui confère son poste de ministre de la Défense. « Dans ce gouvernement bordélique de jeunes ministres ambitieux, l’objectif est de l’installer dans le carré de tête des ministres solides », avait confié l’un de ses conseillers. Retrait d’Afghanistan, otages au Sahel, crise au Mali, dossier syrien, il fait partie de ceux qui rencontrent Hollande chaque semaine à l’Élysée. Discret par nature, Le Drian reste un vieux compagnon de route de Hollande. Ce qui lui permet aussi de dire ce qu’il pense : « Le président normal, c’était bien, en rupture avec Sarkozy. Mais il fallait et je le lui ai dit, qu’il passe désormais au président avec un grand P. »
Stéphane Le Foll, le garde du corps
Fidèle parmi les fidèles du président, il était déjà à ses côtés, sûr de son destin, quand ils n’étaient qu’une demi-douzaine à y croire. Le Foll ne cache pas son agacement quand un membre de l’équipe gouvernementale discute un ordre élyséen. Ce qui ne l’a pas empêché, malgré tout, de faire une vraie bourde en vantant la parité de son cabinet : « Sur quinze personnes, sept sont des femmes, avait-il souligné, ajoutant… bien que nos dossiers soient très techniques ! » Pour l’instant, il n’est pas en première ligne. Les gros dossiers qui l’attendent (réforme de la politique agricole commune, fin des quotas laitiers) ne sont pas encore sur le devant de la scène. Les difficultés sont à venir.
Najat Vallaud-Belkacem, la bonne élève
Ministre des Droits de la femme, porte-parole du gouvernement, la benjamine du gouvernement (35 ans) le reconnaît volontiers, elle éprouve encore de l’appréhension en entrant dans la salle de presse… où elle sort rarement de la lecture de ses fiches. Un peu langue de bois, lui reproche-t-on. Très appliquée, elle n’a pas surmonté sa vieille inquiétude de ne pas être à sa place.